A 26 ans, le rugbyman Yacouba Camara est l’un des meilleurs représentants de la Seine-Saint-Denis dans le monde du sport français. Il nous raconte son superbe parcours, de l’AC Bobigny au XV de France en passant par le Stade Toulousain.
Nous avions contacté le club du Montpellier HR avant la crise sanitaire et Yacouba Camara, tout sourire, a répondu à nos questions quelques jours après la fin du confinement, depuis son jardin. Il venait de reprendre l’entraînement avec son club héraultais.
Voici l’interview réalisée le 9 juin 2020 par Alexandre Batista Silva et Théo Guidet:
Yacouba, comment es-tu tombé dans le rugby ? On imagine que tout le monde jouait au football…
C’est que j’avais déjà un gabarit plutôt imposant (rires). Je pense que je n’aurais pas fait carrière dans le foot avec ce gabarit. J’ai découvert le rugby par l’intermédiaire d’une personne qui est venue au collège pour nous présenter ce sport. J’ai tout de suite accroché ! C’est vrai, un jeune banlieusard du 93 va davantage se tourner vers le foot, la boxe, le handball, mais il faut savoir que le rugby est de plus en plus pratiqué dans les banlieues. On est bien représenté, il y a Sekou Macalou, Gabriel N’Gandebe, les joueuses de Bobigny. Le rugby commence à toucher les banlieues et c’est joli à voir !
Les règles du rugby sont-elles difficiles à comprendre ?
Oui, un peu. Le rugby est un sport compliqué à comprendre car il y a beaucoup de règles et même des choses qui changent d’ailleurs. Le rugby évolue tous les ans, avec de nouvelles procédures qui apparaissent. Ça rend le rugby complexe, oui, mais il s’agit d’un sport que l’on apprécie vraiment lorsqu’on a compris les règles.
Après avoir fait tes débuts à l’AC Bobigny, tu as intégré le centre de formation de Massy, à 15 ans. Raconte-nous.
Alors, Massy, c’est un tremplin pour les joueurs de rugby de l’Île-de-France, c’est un accès au haut niveau. Quand je suis arrivé au centre, j’ai compris ce que je voulais faire dans la vie. Le rugby, soit tu y joues pour t’amuser avec tes copains, soit tu en fais ton métier. Il y a un dilemme, des choix à faire. Je savais à ce moment-là que ça allait être mon métier et que le plus dur commençait. Ce n’est pas comme quand j’allais jouer au football dans la cité.
Tu as rapidement quitté Massy pour Toulouse, l’un des plus grands clubs français.
A ce moment-là, j’ai quitté le centre de formation car j’avais besoin de progresser encore afin d’arriver au plus haut niveau. Massy était en Pro D2 et, personnellement, je pensais avoir le potentiel pour jouer au haut niveau. Je suis arrivé à Toulouse et cela a été incroyable. J’y ai joué durant 4 saisons !
Qu’est-ce qui t’a marqué en arrivant à Toulouse ?
C’est très différent ! D’abord, il y a le temps. On sait bien la météo à Paris est difficile. Le Sud-Ouest, c’est le soleil, avec des gens qui n’ont pas de pression, qui sont très ouverts. A Paris, les gens viennent travailler et n’ont pas le temps. A Toulouse, la gentillesse des Toulousains m’a marqué d’entrée. C’était difficile au début, car j’ai connu beaucoup de changements en peu de temps. J’ai eu de la chance d’avoir des gens qui m’ont beaucoup aidé au club, notamment Yannick Nyanga et Thierry Dusautoir, qui m’ont permis d’être intégré au groupe, à cette famille. Cela m’a permis d’être meilleur physiquement et mentalement. Je me suis senti chez moi. Toulouse, c’est une famille, l’un des plus grands clubs de France, si ce n’est le plus grand. J’ai ce regret de n’avoir rien gagné avec Toulouse, mais cela n’est que partie remise.
Tu évolues désormais à Montpellier, as-tu un plan de carrière ?
J’ai signé en 2017 au MHR. On évolue dans le meilleur championnat du monde. En termes de rugby et de qualité de vie, tu ne trouveras pas meilleur ailleurs. Je me sens bien, j’ai ma famille, j’aimerais bien y rester un moment. Même si on sait que, pour les sportifs, la situation peut vite changer.
«Dans les autres sports, on ne t’offre pas ça»
On parle des valeurs de l’ovalie. Qu’est-ce que le rugby t’a apporté dans la vie ?
C’est vrai que le monde du rugby est très, très particulier. C’est un sport qui demande beaucoup de droiture, de respect, de solidarité. Dès mon arrivée à Bobigny, cela m’a étonné. J’étais un jeune un peu fougueux. Quand les entraîneurs ont commencé à nous parler de respect et de solidarité, à nous présenter les bases de ce sport, j’ai accroché tout de suite. Au final, le rugby te permet d’être meilleur sportivement et de devenir quelqu’un. Toutes les choses que le rugby t’apportent, tu les retrouves dans ta vie de tous les jours.
Pourquoi conseillerais-tu aux jeunes de pratiquer le rugby ?
Tout d’abord, humainement, c’est incroyable. Il y a de vraies valeurs, c’est très particulier, très bénéfique dans ton développement personnel. Dans les autres sports, on ne t’offre pas ça. Sportivement, c’est comme une formation de militaire. Le rugby tel qu’il est, c’est se faire mal, pour soi et ses copains, s’encourager, s’entraider, aller au duel avec les adversaires. C’est vraiment un sport qui nous rend plus fort.
As-tu subi du racisme dans le rugby ?
J’en subi des propos racistes, oui, mais pas depuis que je suis professionnel, cela n’a jamais été le cas. Quand j’étais jeune et que l’on allait jouer dans des endroits un peu reculés, j’ai entendu des remarques racistes, peut-être deux ou trois fois. Mais en top 14, il n’y a pas ce genre de choses. D’autant que la ligue ne rigolera pas avec ça.
Au final, est-ce que le rugby est plus accueillant que le foot ?
C’est difficile à dire, mais le rugby, c’est aussi un sport de fête, car le rugbyman aime faire la fête. Je ne sais pas si le rugby est plus accueillant, mais ce qui est sûr, c’est que tout le monde fera en sorte de bien t’intégrer à la famille du rugby.
Quel genre de fêtes ?
La plupart du temps, on se retrouve chez les amis quand on a besoin de se lâcher. Mais on a souvent besoin de se reposer car la saison est longue.
Pour revenir au rugby, peux-tu nous expliquer ton poste ?
Mon poste, c’est 3ème ligne. Il est double, c’est numéro 6 ou numéro 7. En football, on parlerait de libéro. C’est un joueur un peu libre, qui fait la transition entre les avants et les trois-quarts et qui est un peu partout sur le terrain. C’est un joueur qui court beaucoup, qui est plaqueur, gratteur. C’est le couteau suisse de l’équipe, le joueur qui permet de faire le lien entre tous. On saute dans la touche, on pousse en mêlée, on fait un peu tout. J’ai énormément de duels à jouer, je suis assez exposé.
Est-ce que tu tiens le coup physiquement ?
Je tiens toujours le coup ! J’ai 26 ans et je dois en profiter un maximum ces prochaines années car une carrière de rugby est courte, précaire. Avec les blessures qui peuvent arriver, un joueur est à la retraite à 35 ans, généralement.
Et mentalement ?
C’est vrai que c’est un sport qui demande beaucoup d’investissement. Il faut se remettre en question constamment, même si tous les sportifs doivent se remettre en question pour progresser une fois le haut niveau atteint.
Tu comptes 17 sélections en équipe de France. Peux-tu nous parler de ce que représente cette expérience internationale ?
Le sentiment, c’est que c’est quelque chose que tout sportif rêve d’atteindre. Le fait de représenter son pays, de se battre pour son pays, c’est aussi une énorme fierté pour toutes les personnes qui t’ont entraîné depuis tout jeune. C’est le Graal, l’aboutissement. Mais le plus dur, c’est d’y rester. Je vais tout faire pour faire partie des prochaines sélections. La France est une nation forte qui a eu des difficultés ces dernières années, alors on se doit de redorer le blason et de remettre la France au plus au haut niveau, sachant qu’il y a la Coupe du monde 2024 qui se déroulera en France. J’espère que l’équipe de France sera au top.
«J’ai envie de me battre pour des gens dans le besoin»
Un joueur de rugby gagne-t-il suffisamment d’argent ?
Oui, un joueur de Top 14 gagne bien sa vie. Après, les contrats sont différents, mais, en général, un joueur du championnat de France est bien rémunéré et les salaires évoluent au fil du temps. On ne se rapprochera pas de ce qui se fait au foot, mais les salaires sont confortables.
Que feras-tu après ta carrière ?
C’est vrai, il faut se poser la question très rapidement et préparer l’après-carrière. Personnellement, j’ai en tête de faire de l’associatif. Cela m’intéresse. J’ai envie de me battre pour des gens dans le besoin, des personnes démunies. Je me tournerai vers ça, ici dans le sud ou dans le 93 évidemment. J’essayerai d’aider.
Es-tu connu dans le 93 ?
D’où je viens, oui. Je suis né à Aubervilliers et j’ai grandi à La Courneuve avant de débuter le rugby à Bobigny. Je suis dans un monde un peu particulier, j’ai une image positive à donner du 93 et une image positive à envoyer aux jeunes. Je dois me montrer exemplaire et j’espère qu’il y aura toujours plus de jeunes de banlieue qui joueront au rugby. J’ai déjà participé à des événements afin de présenter le rugby. Je le referai avec plaisir. J’ai cette mission: parler des valeurs de ce sport et permettre à certains d’entrer dans le monde du rugby afin d’y tracer leur propre chemin.
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Crédit photo: Adidas